SABIEN WITTEMAN  
TEXT OF LAURENT DEVEZE  
 
POUVOIRS EN PLACES - Les portraits de Sabien Witteman


Les portraits de Sabien Witteman font naturellement penser aux oeuvres des maîtres hollandais qui peignaient les bourgeois du temps qu’ils soient commerçants, banquiers, ou bourgmestres, et figuraient ainsi, toile après toile, la vraie nature du pouvoir aux Provinces Unies.
Mais l’analogie ne s’arrête pas à une simple coïncidence d’origine géographique car cette artiste néerlandaise sait aussi saisir dans sa peinture, la bonhomie des uns et la rouerie des autres. Comme en cet âge classique, où l’art incarnait quasiment le pouvoir qu’il représentait, les figures de Sabien, expriment tout autant la manière d’exercer le pouvoir que la personnalité du responsable dessiné.
Untel apparaît en majesté, un rien hautain et princier, un tel, au contraire, semble quasi humble, surpris ou même amusé qu’on le choisisse comme objet d’étude.
De ce fait, les portraits de l’artiste sont plutôt des postures.

Des postures c’est à dire des manières d’exercer les responsabilités qui font qu’un élu ou qu’un grand patron dirige, selon sa propre inspiration, l’entreprise ou le territoire dont il a la charge. Un peu comme les chefs d’orchestres dont aucun ne manie la baguette de la même façon, ces gens de pouvoir le sont chacun à leur manière propre ; à tel point d’ailleurs que le français dit par exemple d’un homme politique ou d’un capitaine d’industrie qu’il a su « imprimer sa marque ».
Or, c’est précisément le sujet de telles oeuvres : rendre visible cette trace, cette inimitable façon de s’approprier une fonction et d’en renvoyer conséquemment aux autres une image, en un mot il s’agit de capturer leur signature, ce que les Anciens nommaient un sceaux.

Car, en effet, il n’y a peut être rien de plus intime chez ces modèles d’exception que cette façon d’exercer leurs responsabilité, rien qui ne les révèlent tant en profondeur ; on dit de Jules II qu’il fut furieux contre Michel Ange de l’avoir représenté et statufié un peu trop tel qu’il était en tant que Pape et pas assez tel qu’il aurait voulu être ou apparaître en tant qu’homme.
C’est donc une aventure risquée que de représenter ainsi les sujets choisis par Sabien Witteman en ce qu’ils sont tous peu ou prou, à l’instar de l’artiste finalement, des experts en représentation.

Soucieux de leur image, inquiets du regard qu’on leur porte bien sûr, mais aussi, souvent, reconnaissons-le, doués de ce que les anciens Grecs appelaient « charisma »,
de cette étrange lumière qui les nimbe sans savoir toujours s’ils la possédait de toute éternité et qu’ils exercent leur pouvoir en conséquence ou s’ils la diffusent parce qu’ils possèdent des responsabilités.
Une chose reste sûre, beaucoup d’entre eux sont irrésistibles, sorte de grands fauves qui savent se faire peluche entre deux coups de dents.
Autrement dit, à sa manière, Sabien poursuit une oeuvre politique car elle propose de fait une lecture critique de ces mentors dont certains suscitent de véritables phénomènes de cour autour d’eux quant il ne s’agit pas d’amour ou de dévotion.
La photographie, les médias audio visuels en général, certes, « couvrent » leurs faits et gestes, mais, précisément, couvrir n’est pas révéler.
Le peintre lui possède cette aptitude à saisir patiemment cette légèreté de l’être cher à Milan Kundera qui fait qu’un responsable à un moment s’abandonne, baisse la garde, bref, se livre enfin.
Rarement, ces professionnels de la représentation se laissent piéger par les reporters, mais encore plus rarement se livrent t ils à cet exercice de la pose, même métaphorique d’après un cliché pris à la hâte, qui les obligent à se soumettre au regard patient du peintre.
En ce sens, l’artiste hollandaise déploie à l’égard de ses modèles une attitude bienveillante, faite d’attention authentique en rien comparable à l’attention qu’ils génèrent durant les temps de campagne ou d’O.P.A. auprès du plus grand nombre via les medias habituels.

C’est d’ailleurs probablement cette patience d’un vrai regard sur soi qui explique leur acceptation à jouer le « je(u) du portrait » plutôt que le prétendu délire narcissique qu’on leur attribue sans cesse pour un oui ou pour un non.
Un jour, il leur faut courir ce risque car la peinture comme le miroir de la reine dans la fable de Perrault dit le vrai sans ambages sur ce qu’ils sont réellement.
Loin des propos hagiographiques des conseillers et des admirateurs, loin aussi des délires de sycophantes d’une presse déchainée, (deux écueils qu’ils connaissent pour les avoir souvent traversés), ils aspirent sans doute secrètement au regard calme et limpide de cette jeune femme.
Juste occupée à saisir grâce à ses couleurs franches et acidulées, le vrai visage de ses curieux modèles.

Il est vrai que la lecture plastique de son oeuvre a de quoi surprendre, car là où l’on attendrait l’austérité des bruns et des ors, le retrait des demies teintes ou le mystère du clair obscur, l’on se retrouve en pays de chatoiements et d’éclats colorés.
Des aplats purs et simples semblent déjouer les codes de la peinture de cour traditionnelle où l’on s’accommode assez mal de la pleine lumière, ici au contraire et conformément au dévoilement attendu, la peinture brille, scintille, s’affirme en toute transparence.
On croirait à tort cette franchise enfantine ou naïve, car elle sert de bout en bout le propos de la jeune créatrice qui sait aussi que, même exercé dans la discrétion, le pouvoir sait quand cela lui convient jouer de la lumière et ce sans besoin de convoquer ici le soleil d’un jeune roi aux rêves d’absolutisme.
Néanmoins, force est de constater que la netteté des couleurs et des traits « tranchent » d’avec les flous et les ombres dont aime à s’entourer parfois ces hommes d’exception et que la peinture de par ses couleurs même assume son rôle de révélateur.
En somme la couleur rappelant la prééminence du tableau et de l’acte de peindre se mesure de fait aux savoir faire du politique prompt à gérer son image. Ici les couleurs détournent l’idéal du papier glacé et surprend moins à la manière des clichés volés des paparazzi par exemple, qu’elle ne dévoile complètement la nature des caractères représentés, en somme : le roi est nu.


Laurent DEVÈZE - Directeur de l'Erba de Besançon